Entretien avec Florian Vanco et Damien Verry du Certu (Département Déplacements durables)
( Extrait de TRANSFLASH du CERTU, N°351 de mars 2010 )
La Rédaction : Un certain nombre de «tendances lourdes», qui ont toutes chances de durer, vont fragiliser de plus en plus certaines catégories de la population urbaine (au sens large) : le pétrole cher, les considérations environnementales, l'augmentation de la précarité, le vieillissement,... vous avez effectué une recherche sur ce thème malheureusement porteur. Quel est le thème exact de cette recherche ?
F.V. et D.V. Notre recherche s’intéresse aux efforts budgétaires des ménages consacrés à leur mobilité. Elle vise à identifier les ménages qui pourraient être amenés à modifier leur comportement de mobilité suite à une augmentation des prix de l’énergie.
L.R. Avec quelle méthode ?
F.V. et D.V. La méthode consiste à coupler les données des Enquêtes Ménages Déplacements (méthodologie CERTU) aux données des Enquêtes Budgets des Familles (INSEE). Plus précisément, nous utilisons des typologies de ménages communes aux deux enquêtes pour rapprocher les dépenses des ménages et leurs pratiques de mobilité quotidienne. Certaines dépenses, comme le carburant, sont estimées très finement à l’aide de modèles de trafics et d’émissions.
L.R. Dans quel contexte ?
F.V. et D.V. Notre recherche a débuté suite au pic des prix du pétrole en 2008. Le ministère a en effet souhaité que des réflexions sur cette thématique soient menées à partir des analyses sur les données de mobilité que nous possédions. Suite à la crise économique, les prix du pétrole ont été divisés par deux, mais à moyen terme, toutes les études prospectives concluent à une hausse importante des prix de l’énergie.
Les travaux portant sur la vulnérabilité s’inscrivent dans les réflexions sur la transition énergétique qui
nous conduira vers un monde où l’énergie sera plus chère.
L.R. Avec quelles suites ?
F.V. et D.V. Nous allons actualiser nos recherches avec des données sur la mobilité plus récentes, notamment l’Enquête Nationale Transport (2008). En effet, cela nous permet de ne plus seulement travailler sur la mobilité quotidienne mais aussi sur la mobilité globale des ménages français.
L.R. La question que tous se posent : qui sont ces populations vulnérables ?
F.V. et D.V.Majoritairement, ces populations sont composées de classes moyennes «inférieures» vivant
dans des zones périurbaines, peu denses. Concrètement, il s’agit de familles avec un chef de ménage
actif appartenant aux catégories socioprofessionnelles «ouvriers» et «professions intermédiaires».
La vulnérabilité s’explique à la fois par des niveaux faibles de revenus et de fortes contraintes de mobilité : présence d’enfants, éloignement à l’emploi, aux écoles et aux services, peu d’offres de transports alternatives à la voiture particulière…
L.R. Sont - elles facilement localisables géographiquement ?
F.V. et D.V. Les EMD permettent de localiser assez précisément ces ménages. Nous travaillons en effet sur des données désagrégées issues d’échantillons représentatifs de la population localisés spatialement.
L.R. Peut- on les quantifier (en proportion) ?
F.V. et D.V. Nos résultats sur l’enquête de Lyon montrent qu’avec nos hypothèses méthodologiques, 21 % des ménages peuvent être considérés comme vulnérables. En valeur absolue, cela représente 147 000 ménages en 2006 dans le périmètre de l’aire urbaine lyonnaise.
L.R. Sont - elles en augmentation ?
F.V. et D.V. Nous avons simulé l’impact de la hausse de prix du carburant en 2008. Les résultats ont montré que si les comportements de mobilité restaient les mêmes, 24 500 ménages supplémentaires seraient passés à l’état de «vulnérables».
L.R. Quelles pistes pour traiter ces problèmes ?
F.V. et D.V. À court et moyen termes, il est nécessaire de développer des services de transports spécifiques à ces populations et à ces territoires: transports à la demande, covoiturage, chèques mobilité, nouvelles technologies automobiles... En effet, les transports collectifs «classiques» ne sont pas une solution envisageable dans le cas présent pour des raisons de niveaux de dessertes et de financement. À long terme, il faut s’orienter vers un urbanisme plus économe en mobilité : favoriser le rapprochement entre emplois et habitats, introduire plus de mixité, développer des infrastructures dédiées aux modes doux… et finalement organiser l’étalement urbain en faisant émerger des centralités secondaires en cohérence avec un système de transports adapté. La fiscalité environnementale peut être un outil permettant de s’orienter vers un tel système.
L.R. Peut-on raisonnablement anticiper, ou agira- t - on, comme souvent «le dos au mur» ?
F.V. et D.V. Dans le cas présent, certains ménages sont déjà «dos au mur». Il ne s’agit plus d’anticiper, mais d’agir dès maintenant. Nous constatons que certains territoires sont moins dépendants de la voiture que d’autres. Des mesures efficaces existent donc. On peut parier que dans le futur, ces territoires seront plus à même de surmonter cette transition énergétique sans trop pénaliser les ménages les plus vulnérables qui y vivent.
En savoir plus : voir l'article «Hausse du prix des carburants : les ménages vulnérables» sur www.certu.fr
( > Mobilité et déplacements > Déplacements et planification)
n Contact : Certu - florian.vanco@developpement-durable.gouv.fr
damien.verry@developpement-durable.gouv.fr
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