Les couilles de Dieu. roman de Didier Pourquié

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nanar
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Les couilles de Dieu. roman de Didier Pourquié

Message non lupar nanar » 22 janv. 2011, 17:38

Je préfère prévenir :
ce qui suit contient des scènes susceptibles d'impressionner un CR sensible.  ::)


Extraits de "Les Couilles de Dieu", roman de Didier Pourquié (éditions Arbre voyageur)

Le tramway est un moyen de transport merveilleux. Il ne se contente pas de déposer ses usagers d'un point à un autre de la ville, il leur insuffle un véritable comportement urbain. n'étant pas arrêté par la signalisation routière, le tramway file à toute allure en émettant des ding-ding joyeux. Les chauffeurs n'attendent jamais les retardataires essoufflés qui paraissent sur leur écran de contrôle. Ordre leur est donné de fermer les portes et de démarrer le plus vite possible. Comme les pannes électriques émaillent le parcours, les usagers doivent partir avec une avance de trente minutes sur l'horaire. Ce sont ces efforts de rigueur qui établissent la discipline.
[.....]

Le tramway fila en droite ligne, s'arrêtant à peine aux stations. Une grosse dame qui ne s'était pas approchée assez près de la sortie dut descendre à l'arrêt suivant. Quand  à ceux qui désiraient monter, c'était un divertissement de voir leur nez s'aplatir sur la porte vitrée. Ding-ding-ding , lançait le tramway sans ralentir chaque fois qu'un piéton traversait la voie. Le bel équipage arriva en vue de l'entreprise où travaillait F... trois quart d'heure en avance. Les passagers se dévisagèrent avec un sourire admiratif.  Quand le tramway s'arrêta  F... fut le premier a déclencher l'ouverture des portes. Rien ne se produisit. Il recommença plusieurs fois. Sur le quai, de l'autre côté, on voyait les voyageurs en partance s'acharner sur le bouton en frappant du plat de ma main. Dans la rame, les gens rouspétaient. Le chauffeur sortit de sa cabine et se fraya un chemin parmi les voyageurs : N'essayez pas de déverrouiller les ouvertures. Une panne électrique immobilise le système. Restez calme, tout est prévu. On va vous sortir de là.

Curieusement, les paroles apaisantes du chauffeur n'eurent pas l'effet escompté. Des passagers tinrent à savoir qui était ce "on" providentiel, et s'il n'était pas en train de siroter du schnaps à la terrasse du café du Commerce. Avec un rire mauvais, d'autres suggérèrent d'utiliser le chauffeur comme bélier afin d'enfoncer la porte. Devant tant de mauvais esprits, ce dernier préféra se retrancher dans sa cabine en plexiglas.

Un jeune homme écarta calmement les passagers et retira de son sac un appareil qui ressemblait à une pompe à vélo. Il en enfonça l'extrémité pointue  entre les deux portes coulissantes et se mit à pomper. Tout le monde se tut. Pendant qu'il actionnait la pompe, l'extrémité pointue se scinda en deux branches qui, lentement mais avec assurance, écartèrent les portes coulissantes. En quelques secondes l'individu pratiqua une ouverture assez grande pour faire passer un homme. Alors il rangea son outil soigneusement dans son sac, jeta celui ci sur son épaule et sortit.

Passé le moment de stupeur, les gens se précipitèrent vers l'ouverture. Il y eut bousculade. On se piétinait, on s'invectivait. Dans la confusion, pas un voyageur ne réussit à s'extraire. Alors le chauffeur, avec une technicité proprement ahurissante, décida d'intervenir. Bondissant de sa cabine, il fonça dans la mêlée, la dispersa à grand coup d'épaule et se plaça devant la porte en écartant les bras :
- Que personne ne sorte, hurla-t-il.
- Qu'est ce que ça veut dire ? lança l'un des passagers en se massant les côtes.
- Les consignes sont formelles : aucun voyageur ne doit quitter la rame tant que le fonctionnement normal des ouvertures n'a pas été rétabli.
- C'est une plaisanterie, ricana une dame.
- Pas du tout, répliqua le chauffeur du tac au tac. Si quelqu'un désire s'enfuir par cette ouverture , il devra me passer sur le corps.

Un vieux monsieur prit la parole :
- Ne fais pas l'andouille, petit père. Tu sais bien qu'on ne te veut pas du mal.

Mais le chauffeur, enivré par son discours, ne recula pas d'un pouce. Il se disait que peut être les caméras de surveillance n'étaient pas tombées en panne, et que son courage serait immortalisé dans un enregistrement qui tomberait entre les mains de la direction, que ce courage lui vaudrait reconnaissance et distinction auprès de la compagnie, qu'on lui confierait des responsabilités, qu'il gravirait les échelons. Il ne voyait plus les regard hostiles, il s'émouvait à la pensée de l'ascension sociales qui se présentait à lui par l'entremise de cet évènement inespéré.
- Passez moi sur le corps, répéta-t-il avec des sanglots dans la voix. Passez moi sur le corps, je ne bougerai pas.

Un adolescent - un des ces ignorants trop mal éduqués pour apprécier ces vertus cardinales que sont la bravoure et la foi en son travail - Un adolescent qui se tenait sur le côté crocheta sournoisement la jambe du chauffeur qui tomba à la renverse : Traîtrise, cria le malheureux.

Aussitôt une grosse femme s'élança sur le corps du chauffeur en tirant derrière elle son chariot rempli de victuailles. Les autres la suivirent, un par un, et foulèrent le costume bleu marine de la compagnie municipale des tramways. Comme la rame était remplie, le débarquement des voyageurs dura un temps certain.

Qu'on ne s'y trompe pas. Le monde n'est pas réellement méchant. On aurait demandé à ces voyageurs s'ils étaient satisfaits d'avoir piétiné un homme à terre, ils auraient répondu non, la main sur le cœur. Ce n'est pas à lui qu'ils en voulaient, mais à la société des tramways municipaux. Quand la femme s'était élancée avec son chariot, elle avait simplement voulu montrer sa détermination. Une société anonyme ne peut avoir raison de l'aspiration populaire à revendiquer sa liberté. tel était le sens de l'évènement. Il faut lire les historiens pour le comprendre. Quand aux autres voyageurs, ils s'étaient contenté de suivre. Certains, animés par l'ivresse de la rébellion, avait posé un talon intentionnel sur le mufle du malheureux. Beaucoup se hâtaient avec brusquerie, redoutant d'être les derniers à sortir, comme si cette position de serre-file scellait leur sort, parce que la vie était à l'extérieur, et qu'à s'éterniser là, ils risquaient de mourir plus vite.

F... [...] regarda les derniers voyageurs s'extraire de la rame, puis se pencha sur le chauffeur pour le ranimer. L'homme avait le visage tuméfié. Il tenta cependant de garder les yeux ouverts. F... dut approcher son oreille pour comprendre ce qu'il disait.  Vous avez vu ce qu'ils ont fait, c'est un déshonneur.
F... l'aida à se relever, mais le chauffeur ne tenait pas sur ses jambes. L'homme resta donc assis dans l'encadrement de la porte. Il discourait sans plus finir. Son âme saignait.  Parler l'aidait un peu : je compte sur vous, jeune homme, il faut identifier ces malfaiteurs, il faut des témoignages, des exemples de citoyenneté.

Le buste du chauffeur glissait. Il fallait le maintenir pour qu'il ne tombe pas.  F... [...] proposa au chauffeur de le porter  jusqu'à sa cabine, mais l'autre ne l'entendait pas ainsi : Pour quoi faire, nous sommes bien installés, vous me maintenez droit, c'est parfait.

F... lui expliqua qu'il devait le quitter pour ne pas être en retard. Il l'expliqua plusieurs fois car le chauffeur s'endormait avant qu'il ne termine ses phrases. Finalement, comme le chauffeur ronflait, il décida de l'enjamber. Mais l'homme Se réveilla et lui planta ses ongles dans le mollet : jamais vous ne sortirez. Ou alors il faudra me passer sur le corps.

F... soupira. Le chauffeur avait raison. Il avait opposé une résistance courageuse, pourquoi changerait-il d'attitude ? La détermination, voila ce qui définissait quelqu'un. Qu'importe le motif. La société municipale des tramways se fichait pas mal qu'un de ses conducteurs, au péril de sa vie, ait essayé de faire  appliquer le règlement. Elle ne lui témoignerait nulle reconnaissance. Peut être même le flanquerait-elle à la porte. Mais au moins l'homme avait-il tenté quelque chose. il s'était battu. Il n'avait pas cédé, malgré la douleur, malgré la solitude, malgré les moqueries.. Oui, il avait eu raison, et cette constatation convainquit un peu plus  F...  qu'il devait agir au plus vite [...]

Il tendit la jambe le plus loin possible afin d'enjamber le chauffeur qui se tortillait et s'efforçait de lui barrer la route. F... perdit l'équilibre et son pied heurta l'abdomen du chauffeur. Celui-ci, même avec le souffle coupé, mordit au pantalon de F.... F... tira, secoua la jambe dans tous les sens, mais le chauffeur ne lâchait pas. Pire, il grognait de contentement, et de la gueule ouverte, il cherchait une autre prise pour ses dents.

Le temps s'écoulait, la pitié abandonna F... C'était la capitulation ou le passage en force. Quand les dents du chauffeur mordirent le gras de sa jambe, [...] il opta pour le passage en force.  Il frappa du poing, une fois, deux fois. La tête du chauffeur tomba en arrière, F... bondit sur le quai. Le pied gauche atterrit le premier. Le droit, lui, s'attarda en peu en arrière. Sans motif. Oui, sans motif il y eut comme une sorte de ruade et le talon alla s'imprimer dans le front de l'homme allongé en travers de la porte.

Non. Ne pas se retourner. Ne pas regarder les conséquences de cet ultime coup de talon.

Avancer. Il était libre, n'était il pas ?

[Didier Pourquié]
Dernière modification par nanar le 23 janv. 2011, 23:48, modifié 1 fois.
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Re : Les couilles de Dieu. roman de Didier Pourquié

Message non lupar Billy » 22 janv. 2011, 18:35

Un peu cinglé le wattman !
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Re : Les couilles de Dieu. roman de Didier Pourquié

Message non lupar BBArchi » 22 janv. 2011, 23:17

Billy> Belle épitaphe.
Simple.
Sobre.
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Re : Les couilles de Dieu. roman de Didier Pourquié

Message non lupar manu69 » 23 janv. 2011, 20:11

Merci Nanar pour cet extrait.

Je ne connais pas cet auteur, et ce texte en particulier, mais il y a beaucoup d'idée développée qui ne sont pas loin d'une certaine réalité (purgée des excès du texte).
Avec un exemple excessif, il aborde très subrepticement la complexité des rapports humains.
Pensons par exemple aux rapports usagers/ transporteur, transporteur/conducteurs et conducteurs/usagers. Le triangle infernal...
Il y aurait tant à dire... ::)
Dernière modification par manu69 le 23 janv. 2011, 20:14, modifié 1 fois.
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