Mobilettre a écrit :CLOTURE DES ASSISES DE LA MOBILITE DURABLE
Elisabeth Borne, risque zéro
La ministre a fait du Elisabeth Borne. «Trop techno», «sans relief», «un catalogue sans inspiration», pour tout dire un peu mollasson… Les réactions à chaud des participants n’étaient pas tendres. Pour ne pas surévaluer la lassitude à l’écoute d’une ministre qui ne sera jamais une grande oratrice, nous avons donc relu à tête reposée le discours prononcé en clôture des Assises de la mobilité durable, mercredi dernier, porte de la Villette, au terme d’une journée qui selon nos informations, tous frais de production et de préparation compris, a quand même coûté 500000 euros.
Quelques prémices d’une ambition politique, vite balayées par le langage techno et une si grande prudence
Résumons: on trouve ici et là les prémices d’une vraie posture politique, sur la desserte plus égalitaire des territoires, la frontière qui s’estompe entre transport public et mobilité individuelle, la mobilité écologique qui n’est pas une préoccupation de bobos. Mais de façon quasiment pavlovienne l’orthodoxie et la prudence reprennent très vite le dessus.En veux-tu en voilà, de la solution apportée à chacun, de l’extraordinaire potentiel de l’innovation, de l’encouragement à la coordination des politiques. Comment ne pas avoir davantage puisé, à titre d’exemples, dans les propositions originales formulées au sein des différentes commissions?
Il était pourtant là, le vrai souffle de ces Assises, dans ces apports de contenus, ces cahiers d’acteurs, ces propositions débattues vaille que vaille, malgré quelques consignes de verrouillage. Pourquoi ne pas les avoir davantage évoqués, sans pour autant s’engager? On aurait bien aimé, par exemple, que fussent relevées quelques propositions de la commission pour une mobilité soutenable, comme la révision du barème kilométrique utilisé pour le remboursement des frais de déplacement (lire Mobitelex 197), ou une réflexion sur le régime fiscal des voitures de fonction…
Enfin, on ne peut s’empêcher d’être circonspect devant la représentativité de ces Assises: «60 réunions, 25000 votes sur la plate-forme participative», s’est enthousiasmée la ministre. Il ne s’agit pas de mépriser le gros travail d’organisation, d’animation et de synthèse mené pendant quatre mois par la DGITM, le CGEDD et les équipes de la ministre pour donner corps à ces Assises improvisées, mais les Français se sont-ils vraiment prononcés? Ce n’est pas un hasard si le vrai gagnant de ces Assises est le vélo: la FUB (fédération des usagers de la bicyclette) a organisé une consultation vraiment populaire de plus de 100000 personnes! A chacun son métier…
Qui s’est exprimé, au juste, pendant ces Assises? Les corps constitués de la représentation ou les citoyens?
Est-on vraiment certain que l’habitant d’Aurillac, pris en exemple par la ministre, se plaint prioritairement de devoir faire 1h30 de route pour rejoindre l’autoroute la plus proche? On pressent plutôt qu’il cherche à bénéficier de services de mobilité de proximité souples et accessibles… Qui s’est exprimé, au juste, pendant ces Assises? Les corps constitués de la représentation ou les citoyens?
Pour fonder une nouvelle politique, on comprend qu’il fallait en passer par un processus de consultation/validation. Formalisées de façon cahotique en excluant le ferroviaire qui est pourtant l’armature des mobilités partagées et les infrastructures qui en sont une partie de l’avenir, ces Assises se sont refermées comme elles s’étaient ouvertes: sous contrôle. Il va en falloir, de l’innovation législative, pour transmettre vraiment aux Français et aux acteurs de la mobilité les leviers d’une nouvelle mobilité durable.
Les sept enseignements à retenir selon Mobilettre
La lecture des synthèses des travaux des commissions et des ateliers de l’innovation est enrichissante. Parfois trop conventionnelles car encombrées de prolégomènes et contextes, elles recèlent pourtant de vraies originalités, la palme selon Mobilettre revenant à la Commission de la mobilité soutenable (les financements) que l’on n’attendait pas à pareille fête vu l’aridité du sujet et la surveillance attentive de Bercy.
Voici les sept principales tendances qui se dégagent de ces travaux.
La prise en compte de l’ampleur des ruptures technologiques en matière de mobilité
L’existence de solutions de financement originales, à rebours du fatalisme ambiant
L’extraordinaire déficit d’intermodalité efficace sur le terrain
La disponibilité des acteurs locaux à changer de paradigme en matière d’action publique
La très forte dynamique des entrepreneurs de nouvelles mobilités, qui attendent un vrai encouragement de la part de l’Etat
Le besoin et l’opportunité d’utiliser autrement l’infrastructure routière, au profit d’usages partagés
L’inexplicable angle mort persistant de la politique de transport des marchandises
… et quelques bonnes idées qui font mouche
La presse a été globalement tenue à l’écart des différentes réunions des Assises de la mobilité, mais nous nous sommes procuré quelques compte-rendu de commissions et de nombreuses contributions de façon à évaluer de semaine en semaine l’évolution des débats. Le matériau accumulé est considérable, quoi que de valeur inégale. Parmi les contributions les plus discrètes, deux nous paraissent singulièrement intéressantes et dignes d’être relevées.
Getlink, ou l’art de la synthèse efficace. Vous voulez tout comprendre au fret ferroviaire en quelques minutes? Lisez les recommandations du groupe Eurotunnel, rebaptisé Getlink: elles sont aussi limpides que peuvent l’être les prises de parole publiques de Jacques Gounon. De la redynamisation par le bas (les capillaires) et par le haut (les autoroutes ferroviaires) à l’établissement d’un schéma directeur du fret ferroviaire, en passant par le déploiement d’ERTMS, les propositions touchent juste. Puissent-elles être mises en œuvre…
PC, le mérite de la réflexion. A notre connaissance, le parti communiste est l’un des deux seuls partis politiques (avec Europe Ecologie Les Verts ou ce qu’il en reste) à avoir élaboré une contribution à l’occasion des Assises de la mobilité durable – cela en dit long sur l’état de vitalité intellectuelle des supposés grands partis. Leurs deux instigateurs, Jacques Baudrier, conseiller de Paris, et Hubert Wulfranc, député de Seine-Maritime, se sont placés dans la perspective de la future Loi d’orientation des mobilités. 35 ans après la Loti de 1982 (le communiste Charles Fiterman était alors ministre des Transports), ils essaient de donner de nouvelles perspectives aux mobilités contemporaines, en privilégiant le transport en commun tout en développant les mobilités douces. S’ils accordent logiquement une place de référence aux entreprises publiques, aux politiques sociales et aux industries ferroviaires et automobiles, derniers bastions ouvriers, ils montrent une vraie originalité dans plusieurs de leurs propositions: extension à la France entière de la taxe sur les places de parkings des hypermarchés, création d’un Livret d’Epargne Transport sur le modèle du Livret A, gratuité du transport scolaire et du transport public pour les moins de 18 ans… Tout en partageant l’idée d’une écotaxe poids lourds régionalisée.
En ce qui concerne les cahiers d’acteurs, à noter ceux de Bordeaux Métropole, d’une qualité remarquable, du collectif de l’Etoile ferroviaire de Veynes, qui témoigne de la seule vraie mobilisation de terrain, du SMTC de Grenoble, très complet, de CAF, qui a le mérite d’attirer l’attention sur la filière ferroviaire et l’utilisation des deniers publics, ou encore de l’alliance UTP/GART/Régions de France/FNTV/FNAUT/TDIE, dans la continuité des Etats généraux de la mobilité durable en 2016. Liste non exhaustive et certainement lacunaire…
Comment le vélo a tiré son épingle du jeu
Et dire qu’à l’automne, certains n’avaient pas compris que Mobilettre accorde autant de place à l’usage du vélo avec un tour de France du vélo en ville confié à notre confrère Olivier Razemon. Les Assises s’il en était besoin ont apporté la confirmation qu’il s’agit bien d’une solution de mobilité jugée prioritaire par les Français… à quelques conditions. C’est en tout cas ce qui ressort d’une enquête grandeur nature après l’été par la FUB (Fédération française des Usagers de la Bicyclette), qui ne s’attendait pas à un tel succès : 113 000 réponses en à peine quelques mois, ce qui en fait la plus grande enquête jamais menée en France auprès des usagers du vélo. En comparaison, les 25000 votes recueillis au cours des Assises paraissent bien modestes.
Une majorité de Français seraient donc prêts à enfourcher un vélo au quotidien. Pourtant, les parts modales à l’échelle nationale décollent lentement, surtout quand on les compare à plusieurs pays d’Europe du Nord. Certains éléments freinent donc encore la pratique. Ils ont été clairement identifiés par le baromètre de la FUB: un manque d’infrastructures – voies réservées aux vélos ou encore stationnement adapté – mais aussi un besoin de formation et/ou d’apprentissage. S’attaquer à ces lacunes permettrait de gagner en confort, diminuer l’insécurité et l’incivisme… bref, de créer une véritable culture autour du vélo.
Des améliorations que la puissance publique peut et doit engager, État et collectivités territoriales en première ligne (ces dernières pourront découvrir les résultats commune par commune au mois de mars). Car sans soutien public, la France ne pourra rattraper son retard.
L’Etat n’a donc pas pu ignorer le poids de cette consultation pendant les Assises, même si un bon paquet de décideurs rechignent à considérer le vélo comme un mode de transport de masse. Ce baromètre n’est pas une énième enquête réalisée par des «fous du vélo». La population s’intéresse de plus en plus à ce mode de déplacement, se forge progressivement une opinion, une culture et une expertise sur le sujet. Charles Maguin, président de Paris en Selle, racontait que lors du tractage dans la rue, certains passants l’arrêtaient afin de pouvoir eux aussi répondre à l’enquête, «ravis qu’on leur demande leur opinion».
BILLET
Pour en finir avec l’innovation…
On croyait bêtement que les Assises nationales de la mobilité avaient d’abord pour vocation d’organiser la mobilité de demain à partir d’une loi d’orientation qui prendrait à bras le corps des sujets tels que la desserte équitable des territoires, le financement de toutes les mobilités, la multimodalité, l’ouverture à la concurrence du ferroviaire… Ensuite, on a entendu Elisabeth Borne souligner la place centrale qu’elle accordait aux enjeux d’innovation dans le cadre des Assises. On n’est pas bien certain qu’il ne s’agisse pas d’un peu de com – l’innovation, ça fait toujours bien. Mais bon, jouons le jeu jusqu’au bout, s’est-on dit.
«Les missions de l’État ne se réduisent pas à une substitution au rôle traditionnel d’incarnation transcendante de l’intérêt général de la simple fonction d’accompagnateur des acteurs» (sic)
Pour en avoir le cœur net, on est donc allé voir ce que donnaient ces fameux « ateliers de l’innovation », structurés en séminaires et groupes de travail. On s’est procuré quelques synthèses d’étapes, on a parcouru la synthèse finale. Parmi les premières propositions de l’atelier « commande publique », on trouvait « la création et l’animation à différents niveaux d’un réseau d’acheteurs publics, facilitation juridique ou réglementaire des procédures d’achats, développement de procédure d’évaluation des innovations…» A propos de l’atelier Blockchain on lit avec intérêt que cette technologie « présente un potentiel intéressant et très prometteur pour la mobilité, car elle favorise les échanges en assurant la confiance lors des transactions ». Voici les nouveaux usages cités: « Dispositifs de partage inédits, monnaies de mobilité, traçabilité voire certification de l’usage, transactions intelligentes et sécurisées, reventes de billets de transports…». Quant à l’atelier numérique, il propose par exemple « l’harmonisation des données ». On est bien avancé… Plus féconds, les groupes de travail sur le covoiturage courte distance et les mobilités actives. Passionnants, même. Tiens! il y a un atelier « éthique et libertés » qui propose la création d’une « commission liberté éthique dans le cadre de la future loi d’orientation des mobilités ».
Parce qu’on a un peu mauvais esprit, c’est vrai, on s’est attaqué à la synthèse finale dudit atelier. Dans lequel on a trouvé un tout petit paragraphe au titre fort alléchant: «Finalités et aménités de l’existence». On y lit donc: «Quel est le scénario qui a la faveur des citoyens: une ville envahie de véhicules autonomes sur des voies réservées, ou une ville aux chaussées ajourées, et aux allées et aux toits végétalisés, où tout est fait pour la lutte contre les vagues de chaleur, ménageant des espaces à l’agriculture urbaine?»
Certes… Un peu sur notre faim, nous avons enchaîné sur un autre paragraphe, consacré au descriptif des missions de l’Etat. Voilà du sérieux, du dur, du fondamental! Lisons: «Les missions de l’État ne se réduisent pas à une substitution au rôle traditionnel d’incarnation transcendante de l’intérêt général de la simple fonction d’accompagnateur des acteurs. Il doit rendre l’expression des choix collectifs possible et effective, fût-ce en interdisant, en limitant les pouvoirs d’acteurs puissants comme les GAFA. Il doit lutter contre les évolutions pseudo-automatiques de la société comme celle évoquée avec le devenir prétendument irrésistible de la robomobilité…»
Voilà voilà, c’est bien le propre de l’innovation, on est parfois un peu largués.
On a donc voulu conclure notre petite déambulation sur l’humain, sur ce qui nous reste quand tout nous échappe, et voilà qu’on tombe sur un rapide CV de la coordinatrice des ateliers, issue du CGEDD, une ingénieure en chef des Ponts, Eaux et Forêts. Titre de sa thèse: «La faisabilité et le développement de marqueurs de perturbation endocrinienne chez des gastéropodes prosobranches d’eau douce». Vive l’innovation!