PLANETE Le président de la République a indiqué dans son interview du 14 juillet qu’il entendait refaire des trains de nuit une alternative aux vols domestiques et au TGV
Julien Laloye
Publié le 15/07/20
Seulement deux lignes encore activesLe nouveau monde promettrait donc de ressembler à l’ancien, celui d’avant les TGV, quand les trains de nuit desservaient plus de 550 villes françaises en 1981, comme répertorié par un fana de la cartographie ferroviaire ? « Il y a une demande unanime de réduire les émissions de gaz à effet de serre, or quel meilleur moyen de voyager à longue distance avec un faible impact carbone et sans perdre trop de temps que le train de nuit ? », demande Charles Henri-Paquette, membre de l’association Oui au train de nuit depuis 2016. Née des mécontentements locaux après la disparition progressive des lignes historiques, le collectif s’est peu à peu transformé en force de proposition active, auteur d’un rapport très riche sur le sujet. Tous les clichés autour du train de nuit, notamment sa ringardise supposée et son rendement catastrophique, y sont soigneusement démontés, chiffres officiels à l’appui.
Eté 1981 : dernier été avant le TGV. Le réseau des trains de nuit est encore une toile d'araignée. Cette étude fait un point complet de l'offre cet été là :
https://t.co/o9NAUOdpAL@ouiautraindnuit @Railcoop_SCIC @JPFarandou @FNAUT_fr @SNCF @GuillaumGontard @CamSls @Ifsttar pic.twitter.com/shdCR1iFXC
— Trains Directs (@TrainsDirects) July 14, 2020
En 2019, l’Autorité de Régulation des Transports (ART) démentait ainsi les propos du PDG de la SNCF : « En 2015, le taux d’occupation des trains de nuit (47 %) était près de 10 points au-dessus de la moyenne de l’activité Intercités. Le taux d’occupation dépasse 49 % en 2016, « la ligne Paris – Nice – Vintimille [supprimée depuis] affichait le plus fort taux d’occupation de l’offre de nuit en 2017 (56 %) ». Quand au caractère structurellement déficitaire d’une activité qui ne concerne que 3 % de l’ensemble des passagers, « c’est surtout une question d’affichage », selon Charles-Henri Paquette. « Ramené au nombre de passagers par kilomètres parcourus, c’est le train qui consomme le moins d’argent public, surtout comparé aux investissements d’infrastructure considérables dont a besoin le TGV ».
« Le train de nuit n’a pas de concurrent sur les longues distances »
Il faut pourtant repartir de zéro, dans un pays qui offre les dimensions parfaites pour rallier un peu près n’importe quelle ville du nord au sud et de l’est à l’ouest, sans passer par Paris. Sur les 67 trains de nuit qui circulaient encore quotidiennement en France au début des années 2000, subsistent seulement deux lignes, depuis Paris vers Toulouse-Rodez-Latour-de-Carol, et vers Briançon. Quand elles marchent. Selon La Provence, le Paris-Briançon est par exemple menacé de suppression à la fin de l’année 2021, à la suite de la fermeture de la ligne entre Valence et Veynes pour d’importants travaux devant durer plusieurs mois.
Pour le sénateur de l’Isère Guillaume Gontard « le train de nuit est une offre de transport qui n’a pas de concurrent sur les longues distances. Aucune autre offre ne permet à un travailleur résidant dans le sud de la France et travaillant en région parisienne de passer une soirée avec sa famille avant de prendre son train et d’arriver sur son lieu de travail tôt le matin. » Les habitants du Sud-Ouest en savent quelque chose, eux qui se situent le plus souvent à plus de 6 h de la capitale en train.
@EmmanuelMacron « On va re-développer le fret ferroviaire. Massivement. On va re-développer les trains de nuit. Là aussi. On va re-développer les petites lignes de train. Parce que tout cela permet de faire des économies et réduit les émissions de CO2 »pic.twitter.com/mzQ9V30JNJ
— Michaël Fleurbaey (@MichaelFBY) July 14, 2020
Marie-Pierre Vieu, ancienne députée européenne communiste très engagée sur ce thème à Bruxelles, s’est heurtée à cette réalité de plein fouet quand le train de nuit reliant Paris à Tarbes a été supprimé : « Il y a eu des compensations, on nous a mis un TGV très tôt dans le matin, mais il arrive à 10 h du matin alors que le train de nuit vous faisait arriver à Austerlitz à 7 h du matin. Vous étiez opérationnel pour un rendez-vous à 9 h. C’était aussi un moyen de décloisonnement. On sent bien qu’on pourrait être une alternative rurale et écologique permettant d’accueillir de nouvelles populations alors qu’en réalité on est de moins en moins connectés à l’espace national ».
Si ce n’est par avion, en dépit d’un certain bon sens écologique. Les longs pèlerinages en train vers Lourdes ont ainsi été remplacés par le bal des charters depuis toute l’Europe. « Il y a une alternative au ciel à construire, autrement on ne s’en sortira pas sur le bilan carbone. Encore plus dans l’état d’esprit actuel, qui postule qu’il faut repenser les choses, consommer moins, vivre moins vite, la question du train de nuit va se reposer ».
Un matériel vétuste et un service à repenser
Elle se pose déjà au niveau européen, où l’émergence du « flygskam », la honte de prendre l’avion, a permis un mouvement de fond en faveur de la renaissance d’un réseau continental des trains de nuit, autour de discussions parlementaires de tous bords. En Autriche, la Deutsche Bahn allemande avait préféré arrêter les frais, mais l’exploitant national ÖBB a mis les mains dans le cambouis pour refaire du train de nuit un must emprunté chaque année par 1,4 million de passagers. Un exemple encourageant pour le reste de l’UE, à condition d’y mettre les moyens. Or, la SNCF a peu à peu laissé mourir son réseau de trains de nuit avec la complicité de l’État. En 2015, la Cour des Comptes a rendu un rapport sévère sur l’état des rames, conditionnant à l’époque le maintien du service des six lignes de nuit à la rénovation de 300 voitures hors d’âge, « malgré leur robustesse reconnue ».
La plupart des villes du sud de la France sont à plus de 5h de TGV de Paris, soit une journée de perdue dans les transports.

La plupart des villes du sud de la France sont à plus de 5h de TGV de Paris, soit une journée de perdue dans les transports. - Capture d'écran/Oui au train de nuit
Cela veut dire concrètement que les rares trains de nuit français n’offrent plus que des places assises inclinables ou des compartiments couchette au confort spartiate, sans offre premium, sans douche, même collective, sans wifi, évidemment, et sans service de restauration la plupart du temps, ce qui ne donne pas très envie, il faut bien le dire. « On ne sait pas quand vont pouvoir recirculer les trains de nuit en France de manière importante, s’inquiète Charles-Henri Paquette. Il semblerait que la SNCF se soit empressée d’envoyer le matériel à la ferraille, il n’y a presque plus de voitures couchettes. Or, comme il y a eu un redéploiement des trains de nuit en Europe, il existe une tension même à la location ».
L’association Oui au train de nuit a ainsi calculé que constituer un parc de trains de nuit incluant 750 voitures neuves ou rénovées pour 15 lignes nationales et un cofinancement pour 15 lignes intra-européennes coûterait de l’ordre de 1,5 milliard d’euros.
C’est bien plus que ce qu’avait promis Elisabeth Borne, l’ancienne ministre à la transition écologique, en 2018, quand l’État avait finalement reconduit sa convention avec la SNCF pour prolonger l’existence des deux dernières lignes nocturnes. Sur ce point, l’art du « en même temps » d’Emmanuel Macron a encore frappé, avant même la naissance du concept. Les trains de nuit, que le président de la République veut désormais réinstaller dans le paysage ferroviaire, avaient été remplacés dans la pratique par les fameux bus à bas prix, promus par celui qui n’était alors que ministre de l’Economie.
Oui, les trains de nuit ont de l’avenir ! J’annonce que l’Etat s’engage pour leur pérennité:
La convention État-SNCF, qui devait s’arrêter en 2020, sera reconduite.
L’Etat va investir plus de 30M€ pour rénover les trains de nuit : couchettes, sanitaires, prises, Wifi... https://t.co/jGJxLdBVDL
— Elisabeth BORNE (@Elisabeth_Borne) September 22, 2018Mais le secrétaire d’État aux transports Jean-Baptiste Djebbari l’assurait avant même l’intervention du chef de l’Etat : « Nous avons beaucoup d’ambition pour les trains de nuit en France et dans les discussions que j’ai pu avoir avec le président de la République, je partage ça avec lui, nous allons dans les semaines, dans les mois qui viennent avoir une politique de promotion et de redynamisation des trains de nuit ». Il y a du boulot.