«Le transport collectif tel qu'il est conçu n'est pas soutenable» (Yves Crozet)
Publié : 13 mai 2011, 21:39
Article de l'Agence Environnement et Développement Durable
paru dans : Dépêche n°10320 - Bordeaux, Mercredi 11 mai 2011 11:57:34 - Sabine Andrieu
Bonne lecture :
[citation]
Bilan à mi-parcours du Predit 4 : « le transport collectif tel qu'il est conçu n'est pas soutenable » (Yves Crozet, LET)
« Le transport collectif, tel qu'il est conçu et financé aujourd'hui, n'est pas soutenable », affirme
Yves Crozet, le président du groupe « politiques de transports » du Predit, le programme de recherche
et d'innovation dans les transports terrestres (1) réuni pour un bilan d'étape à Bordeaux jusqu'au
12 mai 2011. Selon lui, il faut « remplir le plein par le plein », c'est-à-dire développer le transport
collectif sur les axes les plus fréquentés pour qu'il se substitue à la voiture, et non pour les lignes
à moindre circulation.
« Les trajets en bus ne font pas le plein et se révèlent coûteux. Les opérateurs actuels ne savent
pas faire des gains de productivité (…) Il faut sans doute aller vers une déréglementation [des
autorités régulatrices des transports] », a expliqué Yves Crozet hier 10 mai 2011, en ouverture du
Carrefour du Predit 4, dans une table-ronde dédiée aux perspectives des politiques de transports pour 2050.
Le directeur de recherche du LET, le laboratoire d'économie des transports (2) plaide aussi pour
une autre approche en matière de transports périurbains. « Si on fait des TER plus rapides et plus
cadencés, on va repousser encore les limites de la ville et favoriser le mitage », dit-il. Yves Crozet
propose une sorte de partage entre des villes où les mobilités se font en transports en commun
et certaines périphéries urbaines où, à condition de « trouver un modèle de taxation ou de fiscalité
adaptée », les habitants, souvent plus pauvres que les citadins, pourraient utiliser leur voiture pour se rendre en ville.
« CHOISIR ENTRE LE BITUME ET LE BÉTON »
Gérard Chausset, vice-président de la CUB (communauté urbaine de Bordeaux) en charge des
transports de demain, abonde : « Si on construit des lignes de tramway dans une agglomération
sans maîtriser le foncier autour et penser au logement social, on crée de la spéculation et on
accroît la boboisation des centres urbains », dit-il. L'objectif de l'agglomération bordelaise est
d'augmenter de 211 % d'ici à 2030 la fréquentation des transports collectifs (3), mais en organisant
en parallèle la « densification de la ville ».
« Il faut choisir entre le bitume et le béton. Il faut faire en sorte que la ville s'arrête et travailler à
des pôles de proximité dans les communes de l'agglomération, en relocalisant les logements le
long des nouveaux axes des circulation du tram, en réinvestissant les espaces vides et en imaginant
par exemple de l'habitat dans les zones commerciales. Il ne faut plus penser seulement au maillage
de la périphérie vers le centre de Bordeaux », explique le vice-président EELV (Europe Écologie Les Verts)
de la CUB, rejoint par Michel Duchène, adjoint (UMP) au maire de Bordeaux, estimant que
« le coût du transport urbain est tel qu'une collectivité ne peut plus financer l'étalement urbain ».
DES « STRESS-TESTS » POUR LES PROJETS DE MOBILITÉ
Yves Crozet propose, comme il existe des « crash tests » pour les voitures, de soumettre les projets
des collectivités en termes de mobilités et de transports à des « stress tests » afin de tester leur
capacité à résister aux chocs et aux aléas (économiques, énergétiques, climatiques). « Si du jour
au lendemain le prix du pétrole se met à flamber, il est impossible pour une ville de réduire brutalement
le nombre de bus ou de voitures en circulation, mais en revanche, via un site internet, le maire
peut inciter au covoiturage et limiter l'accès au centre-ville », dit-il.
Pour Dominique Dron, la nouvelle Commissaire générale au développement durable, c'est cette
« robustesse, [cette] résilience aux aléas » qui, avec un usage efficace des ressources, vont constituer
les deux critères pour mesurer la performance environnementale dans un contexte mondial marqué
par de nombreux aléas, que ce soit sur les questions économiques, le prix des matières premières,
la raréfaction des ressources naturelles ou le coût de l'énergie. La représentante du ministère de
l'écologie et du développement durable a aussi rappelé une autre variable à prendre en compte : l
a durée d'immobilisation : « Quand on construit une infrastructure lourde, celle-ci va structurer le
paysage et l'environnement pendant un siècle ».
LE VÉHICULE HYBRIDE, LA MEILLEURE SOLUTION
Il en va de même pour les véhicules, a complété Jean Delsey, président du groupe « énergie et
environnement » du Predit 4 et conseiller scientifique de l'Ifsttar, l'Institut français des sciences et
technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux. « La durée de vie d'un autobus
est de 12 à 15 ans, la durée de vie d'une voiture est de 15 ans, ce qui signifie qu'un modèle sorti
en 2011 demandera de l'entretien et du carburant en 2036 », a-t-il expliqué, estimant entre 6 et 8
millions le nombre d'automobiles de plus de quinze ans en circulation en France.
Le scénario qui se dessine pour 2050 va sans doute, selon lui, vers 40 % de véhicules thermiques,
20 % de véhicules tout électrique et 40 % de véhicules hybrides, « mais tout dépendra des énergies
[disponibles] ». Pour plusieurs intervenants de ce débat, les véhicules hybrides sont sans doute
la meilleure solution à l'heure actuelle sur les plans technologique et environnemental. Philippe Enguix,
le directeur transport du groupe Casino s'est dit « certain que ce sera une alternative pour les
camions et pour diminuer l'empreinte carbone [de son entreprise] », et prévoit de tenter des
expérimentations avant la fin de l'année.
MARCHANDISES : REPENSER CHARGEMENTS ET LIVRAISONS
Plutôt que de recourir à des plus petits utilitaires pour les livraisons en ville par exemple, qui,
selon lui, ont l'effet pervers de multiplier le nombre de véhicules en circulation, Casino réfléchit
à des entrepôts partagés, à l'utilisation des lignes de tram urbaines aux heures creuses pour
le fret et à un nouveau mode de calcul pour le chargement de ses camions. « Actuellement,
on compte le nombre de palettes au sol, mais cela ne rend pas compte réellement du volume
du camion », dit-il.
L'objectif est donc d'embarquer plus de marchandises pour faire rouler moins de camions, quitte
à ce que des magasins soient livrés plus tard. Cette stratégie est déjà mise en oeuvre aux
États-Unis où « certaines enseignes acceptent d'être livrées avec un ou deux jours de retard,
après accord de leurs clients, afin de diminuer leur empreinte carbone », indique Olivier Maurel,
directeur du système d'information de la société Ilog et président du groupe « logistique et
marchandises » du Predit 4.
« Le décret sur l'obligation d'affichage CO2 dans les transports sera publié prochainement
(L'AEDD n°10187), ce qui va forcément impacter les pratiques », prédit Yves Crozet, rappelant
que la question des marchandises est « essentielle », car « malgré le ralentissement depuis 2008-2009,
le trafic progresse en tendance ». Le scientifique estime toutefois que « le transport routier est
en grande partie optimisé » et que les « marges de progrès se situent du côté de la voiture ».
« La réflexion sur les véhicules hybrides est intéressante, mais elle ne résoudra pas tout »,
estime de son coté Gérard Chausset, le vice-président de la CUB. « La voiture n'est pas qu'un
problème de pollution, mais de gestion de l'espace et d'urbanisme ».
(1) Crée en 1990, ce programme de recherche conduit par les ministres du développement
durable (MEDDTL), de l'économie et des finances, de l'enseignement supérieur et de la recherche,
par l'ANR, l'Ademe et Oséo, en est à sa quatrième édition (2008-2012). Il se décline en six
groupes de travail opérationnels et thématiques et mobilise 400 millions d'euros.
(2) Il s'agit d'une unité mixte de recherche entre le Cnrs, l'Université Lyon-II et l'École nationale
des travaux publics de l'État.
(3) Pour réaliser cet objectif, Gérard Chausset a précisé, en réponse à une question de la salle,
qu'un investissement de un à trois milliards d'euros serait nécessaire.
Contacts :
- Predit, secrétariat permanent, 01 40 81 14 17, info@carrefour-miparcours-predit4.org
- Agence Cap et Cime, Annabelle Ledoux, contact presse, 01 55 35 07 72, aledoux@capetcime.fr
[fin de citation]
paru dans : Dépêche n°10320 - Bordeaux, Mercredi 11 mai 2011 11:57:34 - Sabine Andrieu
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Bilan à mi-parcours du Predit 4 : « le transport collectif tel qu'il est conçu n'est pas soutenable » (Yves Crozet, LET)
« Le transport collectif, tel qu'il est conçu et financé aujourd'hui, n'est pas soutenable », affirme
Yves Crozet, le président du groupe « politiques de transports » du Predit, le programme de recherche
et d'innovation dans les transports terrestres (1) réuni pour un bilan d'étape à Bordeaux jusqu'au
12 mai 2011. Selon lui, il faut « remplir le plein par le plein », c'est-à-dire développer le transport
collectif sur les axes les plus fréquentés pour qu'il se substitue à la voiture, et non pour les lignes
à moindre circulation.
« Les trajets en bus ne font pas le plein et se révèlent coûteux. Les opérateurs actuels ne savent
pas faire des gains de productivité (…) Il faut sans doute aller vers une déréglementation [des
autorités régulatrices des transports] », a expliqué Yves Crozet hier 10 mai 2011, en ouverture du
Carrefour du Predit 4, dans une table-ronde dédiée aux perspectives des politiques de transports pour 2050.
Le directeur de recherche du LET, le laboratoire d'économie des transports (2) plaide aussi pour
une autre approche en matière de transports périurbains. « Si on fait des TER plus rapides et plus
cadencés, on va repousser encore les limites de la ville et favoriser le mitage », dit-il. Yves Crozet
propose une sorte de partage entre des villes où les mobilités se font en transports en commun
et certaines périphéries urbaines où, à condition de « trouver un modèle de taxation ou de fiscalité
adaptée », les habitants, souvent plus pauvres que les citadins, pourraient utiliser leur voiture pour se rendre en ville.
« CHOISIR ENTRE LE BITUME ET LE BÉTON »
Gérard Chausset, vice-président de la CUB (communauté urbaine de Bordeaux) en charge des
transports de demain, abonde : « Si on construit des lignes de tramway dans une agglomération
sans maîtriser le foncier autour et penser au logement social, on crée de la spéculation et on
accroît la boboisation des centres urbains », dit-il. L'objectif de l'agglomération bordelaise est
d'augmenter de 211 % d'ici à 2030 la fréquentation des transports collectifs (3), mais en organisant
en parallèle la « densification de la ville ».
« Il faut choisir entre le bitume et le béton. Il faut faire en sorte que la ville s'arrête et travailler à
des pôles de proximité dans les communes de l'agglomération, en relocalisant les logements le
long des nouveaux axes des circulation du tram, en réinvestissant les espaces vides et en imaginant
par exemple de l'habitat dans les zones commerciales. Il ne faut plus penser seulement au maillage
de la périphérie vers le centre de Bordeaux », explique le vice-président EELV (Europe Écologie Les Verts)
de la CUB, rejoint par Michel Duchène, adjoint (UMP) au maire de Bordeaux, estimant que
« le coût du transport urbain est tel qu'une collectivité ne peut plus financer l'étalement urbain ».
DES « STRESS-TESTS » POUR LES PROJETS DE MOBILITÉ
Yves Crozet propose, comme il existe des « crash tests » pour les voitures, de soumettre les projets
des collectivités en termes de mobilités et de transports à des « stress tests » afin de tester leur
capacité à résister aux chocs et aux aléas (économiques, énergétiques, climatiques). « Si du jour
au lendemain le prix du pétrole se met à flamber, il est impossible pour une ville de réduire brutalement
le nombre de bus ou de voitures en circulation, mais en revanche, via un site internet, le maire
peut inciter au covoiturage et limiter l'accès au centre-ville », dit-il.
Pour Dominique Dron, la nouvelle Commissaire générale au développement durable, c'est cette
« robustesse, [cette] résilience aux aléas » qui, avec un usage efficace des ressources, vont constituer
les deux critères pour mesurer la performance environnementale dans un contexte mondial marqué
par de nombreux aléas, que ce soit sur les questions économiques, le prix des matières premières,
la raréfaction des ressources naturelles ou le coût de l'énergie. La représentante du ministère de
l'écologie et du développement durable a aussi rappelé une autre variable à prendre en compte : l
a durée d'immobilisation : « Quand on construit une infrastructure lourde, celle-ci va structurer le
paysage et l'environnement pendant un siècle ».
LE VÉHICULE HYBRIDE, LA MEILLEURE SOLUTION
Il en va de même pour les véhicules, a complété Jean Delsey, président du groupe « énergie et
environnement » du Predit 4 et conseiller scientifique de l'Ifsttar, l'Institut français des sciences et
technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux. « La durée de vie d'un autobus
est de 12 à 15 ans, la durée de vie d'une voiture est de 15 ans, ce qui signifie qu'un modèle sorti
en 2011 demandera de l'entretien et du carburant en 2036 », a-t-il expliqué, estimant entre 6 et 8
millions le nombre d'automobiles de plus de quinze ans en circulation en France.
Le scénario qui se dessine pour 2050 va sans doute, selon lui, vers 40 % de véhicules thermiques,
20 % de véhicules tout électrique et 40 % de véhicules hybrides, « mais tout dépendra des énergies
[disponibles] ». Pour plusieurs intervenants de ce débat, les véhicules hybrides sont sans doute
la meilleure solution à l'heure actuelle sur les plans technologique et environnemental. Philippe Enguix,
le directeur transport du groupe Casino s'est dit « certain que ce sera une alternative pour les
camions et pour diminuer l'empreinte carbone [de son entreprise] », et prévoit de tenter des
expérimentations avant la fin de l'année.
MARCHANDISES : REPENSER CHARGEMENTS ET LIVRAISONS
Plutôt que de recourir à des plus petits utilitaires pour les livraisons en ville par exemple, qui,
selon lui, ont l'effet pervers de multiplier le nombre de véhicules en circulation, Casino réfléchit
à des entrepôts partagés, à l'utilisation des lignes de tram urbaines aux heures creuses pour
le fret et à un nouveau mode de calcul pour le chargement de ses camions. « Actuellement,
on compte le nombre de palettes au sol, mais cela ne rend pas compte réellement du volume
du camion », dit-il.
L'objectif est donc d'embarquer plus de marchandises pour faire rouler moins de camions, quitte
à ce que des magasins soient livrés plus tard. Cette stratégie est déjà mise en oeuvre aux
États-Unis où « certaines enseignes acceptent d'être livrées avec un ou deux jours de retard,
après accord de leurs clients, afin de diminuer leur empreinte carbone », indique Olivier Maurel,
directeur du système d'information de la société Ilog et président du groupe « logistique et
marchandises » du Predit 4.
« Le décret sur l'obligation d'affichage CO2 dans les transports sera publié prochainement
(L'AEDD n°10187), ce qui va forcément impacter les pratiques », prédit Yves Crozet, rappelant
que la question des marchandises est « essentielle », car « malgré le ralentissement depuis 2008-2009,
le trafic progresse en tendance ». Le scientifique estime toutefois que « le transport routier est
en grande partie optimisé » et que les « marges de progrès se situent du côté de la voiture ».
« La réflexion sur les véhicules hybrides est intéressante, mais elle ne résoudra pas tout »,
estime de son coté Gérard Chausset, le vice-président de la CUB. « La voiture n'est pas qu'un
problème de pollution, mais de gestion de l'espace et d'urbanisme ».
(1) Crée en 1990, ce programme de recherche conduit par les ministres du développement
durable (MEDDTL), de l'économie et des finances, de l'enseignement supérieur et de la recherche,
par l'ANR, l'Ademe et Oséo, en est à sa quatrième édition (2008-2012). Il se décline en six
groupes de travail opérationnels et thématiques et mobilise 400 millions d'euros.
(2) Il s'agit d'une unité mixte de recherche entre le Cnrs, l'Université Lyon-II et l'École nationale
des travaux publics de l'État.
(3) Pour réaliser cet objectif, Gérard Chausset a précisé, en réponse à une question de la salle,
qu'un investissement de un à trois milliards d'euros serait nécessaire.
Contacts :
- Predit, secrétariat permanent, 01 40 81 14 17, info@carrefour-miparcours-predit4.org
- Agence Cap et Cime, Annabelle Ledoux, contact presse, 01 55 35 07 72, aledoux@capetcime.fr
[fin de citation]