Urbanisme
Pourquoi nos centres-villes se meurent-ils ?
Publié le 13/12/2017 à 06h06
"Bail à céder"? "A louer"... Le gouvernement doit présenter jeudi un plan de revitalisation des centres-villes de villes moyennes, lors de la Conférence des territoires, à Cahors. Le journaliste Olivier Razemon alerte depuis longtemps. Et ce n'est pas, dit-il, qu'une affaire de commerces vides.
« En centre-ville, c’est mort maintenant… ». Qui n’a jamais entendu cette sentence ? Aussitôt illustrée par le spectacle de façades aveugles et de stores métalliques baissés. Le journaliste spécialisé dans l’urbanisme et les transports Olivier Razemon ausculte nos centres-villes dans un livre récemment enrichi et réédité Comment la France a tué ses villes (Rue de l’Échiquier).
Ce sont les mêmes qui pleurent sur la mort des centres-villes et qui font leurs courses en périphérie ?
Je ne sais pas… Mais ce qui est vrai, c’est qu’on veut tout à la fois ! On n’a pas conscience que vouloir tout et tout de suite a des conséquences. Bon, cela relève de la psychologie… La prise de conscience est diverse devant cette dévitalisation des centres-villes. Certains habitants pensent que c’est un problème local, alors que c’est global. On est tous concerné. D’autres encore se disent que ce n’est pas grave. La vie moderne se fait en dehors des villes et puis voilà !
En quoi est-ce grave, selon vous ?
Ce n’est pas qu’une affaire de commerces, mais de logement, de transports, de population, d’espace public. Qu’est-ce qu’une société où l’on ne se croise plus dans ces espaces urbains chargés d’histoire et de géographie d’un centre-ville ? C’est une société en manque d’identité. J’étais un jeudi midi à Nevers en centre-ville, c’était vide… mais vide… Pourtant, il y a un palais ducal, il y a la Loire, c’est un lieu extraordinaire. Une ville, c’est une histoire. On ne va dans une grande surface qu’en tant que consommateur. Il n’y a pas de place pour celui qui voudrait juste se réchauffer ou voir du monde. Alors que dans une ville, on est tout, on est un promeneur, un citadin… On a une autre vocation. Et puis la ville est un lieu ouvert. Veut-on une société avec encore des lieux de rencontre ou rien que des zones commerciales anonymes ?
On a tort de penser que le mal est fait, que c'est irréversible ?
Oui, car il y a de l’espoir tant qu’il y a des habitants. À Limoges, à Moulins, en Saône-et-Loire… J’ai vu des citadins reprendre en main le destin de leur ville pour ne pas qu’elle soit abandonnée à la dépopulation. Les choses ne sont pas perdues.
Mais des familles s’éloignent aussi des centres-villes, faute de pouvoir s’y payer un logement…
C’est vrai dans les très grandes villes, mais dans les villes moyennes, on observe que ceux qui habitent au centre ont des revenus moyens moindres que ceux résidant en périphérie. Souvent, les gens oublient qu’il y a des quartiers où les loyers ne sont pas chers. Une ville, ce n’est pas un centre et la périphérie ! Habiter dans l’un de ses quartiers pourrait peut-être permettre d’avoir une voiture en moins. Il faut réobserver tout cela attentivement, loin de nos réflexes individuels ou collectifs.
Laisser la loi du marché se faire,
c’est immanquablement avantager la périphérie.
Il faut commencer par arrêter la grande distribution
même si cela ne suffira pas
Pour faire ses courses en centre-ville, il faut se garer et c’est payant. Ce n’est pas là le début du problème ?
Il s’agit d’une affaire collective. Le but n’est pas de dire à certaines personnes : « C’est vous qui tuez les centres-villes ! ». Il est question de responsabilité politique à travers des décisions publiques contestables. Peut-être qu’une 4e zone commerciale n’est pas nécessaire, par exemple… J’ajoute qu’il y a des parkings, et même plein, en centre-ville. Peut-être pas exactement en face du magasin voulu, tout de suite et tout le temps, mais il y en a. Je comprends ce mantra du « On ne peut pas se garer » mais il ne faut pas en rester là. C’est un travail d’orfèvre car il n’y a pas de solution simple. C’est du pas à pas.
On peut faire quoi par exemple ?
Aujourd’hui, on avantage clairement la périphérie, où on continue de créer du mètre carré de surfaces commerciales à un rythme de 3 % par an alors que la consommation n’augmente que de 1 à 2 %. Dans ces espaces, certaines cellules n’ont jamais ouvert ! Laisser la loi du marché se faire, c’est immanquablement avantager la périphérie. Il faut commencer par arrêter la grande distribution même si cela ne suffira pas.
Trop cher les loyers commerciaux en centre-ville ?
On manque de connaissances sur ce sujet. Dans certaines rues, c’est élevé. Vingt mètres plus loin, beaucoup moins. Il faut tout observer : qui sont les propriétaires ? Faut-il taxer les locaux vacants pour pousser à la location ? Prendre en charge des travaux de rénovation ?
Vous regrettez cette tendance à tout sortir des centres-villes…
Oui, c’est l’Urssaf, Pole Emploi, la piscine, l’hôpital comme à Castres… C’est autant de personnes qui n’iront plus se restaurer à proximité, consommer dans la ville. Ce sont des conséquences en cascade.
Quelques chiffres....
9,5 % des locaux commerciaux étaient en moyenne vacants en 2015 (contre 7,2 % en 2012), selon les chiffres de Procos, fédération du commerce spécialisé. « Près de la moitié des centres-villes observés ont un taux de vacance supérieur à 10 %, limite symbolique considérée comme critique. On en comptait seulement 1 sur 10 en 2001, écrit Procos, qui juge les petites villes en danger. La moitié d’entre elles, en effet, présente un taux de plus de 10 %, + de 15 % même pour 20 % d’entre elles, sans compter les performances moindres des enseignes nationales présentes, au regard du chiffre d’affaires moyen en France (-20 %). Les petites villes sont « particulièrement touchées » par la vacance commerciale, résume Olivier Razemon, les villes moyennes « beaucoup touchées » et les grandes villes, « peu ou pas touchées ».La parole à Bernard Morvan, président de la Fédération nationale de l'habillement :
Quarante ans qu’il exerce ce métier dans des centres-villes… Autant dire qu’il connaît la question et qu’elle lui tient à cœur. « Le centre-ville, c’est l’agora, le lien social, les valeurs ». Bernard Morvan, qui possède quatre points de vente en Seine-et-Marne, préside depuis 2010 la Fédération nationale de l’habillement. Il fut ainsi aux premières loges lorsque la crise impacta le secteur, passé de 70.000 à 50.000 points de vente, dont 88 % en hyper centre-ville. 2013 marqua, selon lui, l’« hécatombe » : « Nous avons pu observer une accélération de la destruction de notre appareil commercial en centre-ville ».
Améliorer la puissance d'accueil
D’où son cri d’alarme, face à un « déni de situation », lancé en 2014 avec un « plan Marshall » assorti de 58 propositions. Le président n’oublie pas de « balayer devant sa porte », en incitant les commerçants de centre-ville à se prendre par la main. « Indépendants certes, mais inter-dépendants d’abord ! ». Il a conscience qu’on ne peut pas demander à un commerçant, seul, de rivaliser avec les 70 heures d’ouverture d’un centre commercial, mais il « faut améliorer notre puissance d’accueil », en passant de 40 à 50 heures, en couvrant notamment le créneau entre midi et deux, quand les achats se font.
« Je suis déterminé car l’enjeu des centres-villes est légitime.
Il est sociétal, environnemental, électoral même.
Il est indissociable du bien-vivre ensemble.
La bataille du centre-ville, aujourd’hui, a commencé »
Ensuite, il pense que le commerçant en habillement du centre-ville ne doit pas se battre sur de l’entrée de gamme, mais se différencier. Avec un « bémol » toutefois, lorsqu’il regarde la paupérisation des centres-villes. Puis il évoque la question des flux et du stationnement, la vacance des locaux d’habitation, la fiscalité locale… « Le sujet des centres-villes est complexe ».
Les centres commerciaux de périphérie en question
Bernard Morvan pointe du doigt l’outil de régulation de l’urbanisme commercial, sous la tutelle controversée de Bercy, qui « ne devrait pas être là pour dire oui à tous les coups ». Or, dit,-il, les Commissions départementales d’équipement commercial sont devenues des « machines à dire oui ». Il qualifie les projets de centres commerciaux en périphérie de « poison emballé comme le plus beau cadeau au monde proposé à des maires qui ne peuvent pas refuser ».
En conférence, il porte son badge « Dépensez vos sous là où vous habitez » pour « responsabiliser le consommateur, sans le stigmatiser ». L’idée d’un moratoire sur les extensions de centres commerciaux en périphérie n’aurait pas été retenue par le gouvernement. « Ce qui risque de plomber l’ensemble ». Gérard Morvan sait qu’une « volonté politique locale » peut faire des merveilles. « Je reste positif ».
Florence Chédotal