Message non lupar Linkinito » 07 août 2020, 12:01
Article « premium » du Progrès du 3 août dernier.
Coup de froid sur le projet de métro E : les habitants du territoire inquiets
Le 2 juillet dernier, le nouveau président de la Métropole jetait un coup de froid sur les promoteurs du projet de Métro E censé traverser l’ouest lyonnais entre Alaï et le centre de Lyon. Bruno Bernard se disait « pas convaincu que ce soit l’option la plus utile aux habitants ». Réactions des politiques locaux et acteurs économiques du territoire.
« Aujourd’hui, la construction du métro E reste au stade de la possibilité et non de la certitude. » A peine élu président de la Métropole, Bruno Bernard avait, début juillet, rappelé les priorités de sa majorité en ce qui concerne sa politique de déplacements. Au cours de sa campagne, il avait promis une concertation visant à déterminer quelle option serait la plus utile aux habitants : « Aujourd’hui, je ne suis pas convaincu que ce soit le métro E », avait-il enchaîné.
« L’ouest est le parent pauvre des transports depuis 30 ans »
Les élus des villes concernées en premier lieu s’étranglent : comment peut-on encore, s’accordent-ils, oublier l’ouest lyonnais ? « L’exécutif doit prendre en compte tous les territoires, plaide Michel Rantonnet. Aujourd’hui, il nous faut trois quarts d’heure pour aller à Confluence. Il faut trouver une solution pour les 50 000 véhicules qui rentrent quotidiennement depuis l’ouest ». Le maire de Francheville milite pour des solutions en sous-sol et dans les airs pour contrer la saturation du réseau de surface et dénonce « la radicalité politique qui marque une volonté de décroissance […] alors qu’il faut investir pour une métropole innovante qui veut se développer ». Pour l’ex-maire de Craponne et toujours conseiller métropolitain Alain Galliano, l’abandon du projet serait « catastrophique. Ça me paraît incroyable, l’ouest lyonnais est le parent pauvre des transports depuis 30 ans ». Et de rappeler qu’une concertation a eu lieu et que les avis recueillis « des élus comme de la population étaient largement en faveur de la réalisation du métro. »
« Pas la vision des écologistes »
Un avis que nuance Jean-Charles Kohlhaas, vice-président en charge des déplacements dans le nouvel exécutif métropolitain. Selon lui, les contributions ont montré une critique du projet puisque des extensions de part et d’autre ont été demandées [NDLR: prolongement jusqu’à la Part-Dieu d’un côté, jusqu’à Craponne de l’autre]. L’élu sait qu’il y a des attentes fortes, « mais il en a partout et il n’est pas certain que la Métropole ait les moyens de faire un métro partout où il est attendu. » Fin connaisseur des problématiques de déplacements, il tempère : « Un métro augmente la pression foncière et favorise l’étalement urbain… Ce n’est pas la vision des écologistes. En outre, c’est un moyen de transport intéressant à partir de 100 000 voyages/jour. Là, la jauge est à 60 000 au mieux.»
« C’est effectivement le cas aujourd’hui, rétorque Alain Galliano, mais dans 10 ans, vu le développement actuel, on atteindra la jauge de 100 000… L’ouest est très attractif, on ne peut pas contrer l’étalement urbain, c’est un non-sens, on peut seulement le rendre plus durable. » Jean-Charles Kohlhaas préfère insister sur le besoin de terminer les études : « On va analyser les besoins actuels en toute transparence et on présentera le résultat […] Personne n’a dit “on abandonne tout”, il faut qu’on trouve la meilleure solution au meilleur prix, qui sera basée sur des études objectives, pas des a priori. » Il n’y a pas, selon lui, urgence à la décision, le métro étant un projet à l’échéance 2030, au mieux.
Un horizon plus proche sera la rentrée de septembre avec l’élection du nouveau comité syndical du Sytral.
« La réponse aux besoins à courts termes » - Jean-Charles Kohlhaas
« Pour répondre aux besoins, on va d’abord augmenter de 20 % le nombre de kilomètres de bus dans les deux ans. La réponse immédiate, c’est améliorer les fréquences, sanctuariser les couloirs de bus… Pour tout le reste, ce sont des projets au mieux à 5 ou 6 ans, RER, tram, éventuellement le câble aérien. La réalisation du métro, c’est pour le prochain mandat, même si la décision est prise dans celui-ci. »
« L’objectivité des études » - Jean-Charles Kohlhaas
« On a des doutes sur certains projets et l’objectivité des études réalisées pendant le mandat précédent, notamment sur les solutions alternatives comme le tram, qui partait sous le Rhône et pas dessus… Pourquoi ? »
« Défendre le Métro E » - Alain Galliano
On va continuer à le défendre et je pense que tous les maires du territoire seront sur la même ligne.
« Le transport par câble » - Michel Rantonnet et Alain Galliano
Le premier en est un ardent promoteur : « Des études déjà avancées, un moyen de transport efficace pour 4 000 nouveaux voyageurs jour » dit-il. Le second a des doutes : « C’est un projet qui peut être compliqué à conduire, donc long, à cause des recours possibles… Survoler l’ouest lyonnais ne sera pas facile. »
« Circulation excessive » - Julien Ranc
« Cette ligne est une nécessité pour désengorger l’ouest qui souffre d’une circulation pendulaire excessive » explique le conseiller municipal d’opposition de Tassin qui a écrit au président de la Métropole pour l’inviter à venir à Tassin pour échanger sur le devenir des grands dossiers métropolitains, dont le métro E.
« Faire de l’ouest lyonnais une réserve d’Indiens » - Pascal Charmot
Ces déclarations ne font pas avancer le dialogue. C’est faire fi des élus du territoire et des engagements pris lors du déclassement de l’A6/A7. L’arrivée du métro dans l’Ouest Lyonnais est la suite logique d’une réflexion sur les déplacements au sein de la métropole. A moins de vouloir faire de l’ouest lyonnais une réserve d’Indiens, le métro est la solution la plus judicieuse et devrait s’inscrire aussi avec l’anneau des sciences […] Une concertation publique, reconnue par la CNDP pour sa très grande qualité et la forte implication des habitants, a montré l’approbation par la population. Les maires ont soutenu le processus ; les études préliminaires ont été faites, les sondages réalisés, les premières ébauches d’implantation des stations ; le financement des travaux est viable et intégré dans les prospectives d’investissement du Sytral… Vous voulez savoir si je continue à la défendre ? Évidemment que oui. Il n’en sera pas autrement.
Quant au projet de transport par câble pour intéressant qu’il puisse paraître, il n’est encore qu’au stade de l’idée et il n’apporterait qu’une réponse incomplète et sous-dimensionnée aux enjeux et aux besoins […] Et je ne vois pas bien comment des pylônes vont pouvoir s’intégrer dans le paysage sans le dénaturer. Ce n’est pas une alternative au métro.
Commerçants et habitants : « une immense incompréhension »
Alain Tardy, propriétaire du magasin Pil’Mania à Alaï est très déçu, comme Florian de Goulard son voisin du restaurant Le Tabagnon. Il déplore que « cet atout supplémentaire pour le quartier soit abandonné, le métro aurait vraiment soulagé et diminué la circulation routière ». Jean-Pierre et Brigitte Chillet habitent Vaugneray mais sont depuis un certain temps à la recherche d’un appartement pour leur fils à Alaï. Ils ont quand même remarqué un « envol des prix immobiliers dans le coin depuis l’annonce du métro ». Ils expriment « une immense incompréhension » ayant vu depuis quelques années « un temps de parcours pour aller à Lyon au moins multiplié par deux ». Cindy, 32 ans, habitante du quartier avoue, elle, « ne plus rien comprendre à la politique, car le métro est une solution écologique ».
Au carrefour de la Libération, où une station de métro était également prévue, Sandra Moretti propriétaire de la boulangerie Gusto depuis 3 ans est consternée, « c’est comme s’ils voulaient tuer le centre-ville, et côté environnement c’était très bien, je ne comprends vraiment pas cette décision, sans compter tout l’argent des études dépensé pour rien ». Philippe Gauvreau du restaurant Daddy Poule est un peu plus nuancé : « c’est sûr que c’est une déception, cela aurait été bien plus facile d’aller à Lyon, mais pour moi qui ai une clientèle de proximité cela ne changera pas grand-chose. »
« Tassin souffre de ses embouteillages quotidiens »
Pour Pascale Grivot-Brunhes, conseillère immobilière tassilunoise indépendante adossée à un grand groupe, « c’est un peu trop tôt pour voir les conséquences éventuelles de l’abandon du projet de métro sur l’immobilier à Tassin. Les prix ont continué à monter depuis la pandémie, les cartes sont rebattues à la hausse, mais très clairement l’arrivée prévue du métro rassurait les acheteurs en les confortant sur le fait qu’ils ne faisaient pas d’erreur. Mais on peut noter le début de perte d’attractivité de Tassin à cause des gros problèmes de circulation, j’ai proposé des biens qui ont été refusés pour cette raison. Les gens ne comprennent pas pourquoi on voudrait limiter l’usage de la voiture sans proposer de vraies situations alternatives ».
« Cette décision peut remettre en cause la présence de LumApps à Tassin »
Les bureaux de LumApps, start-up tassilunoise spécialisée dans l’intranet social et collaboratif sont situés aux bureaux verts dans le bourg de Tassin, la moitié de ses 200 salariés y travaillent, « à portée de trottinette d’une des futures stations du métro E », précise Sébastien Ricard, cofondateur et PDG de la jeune pousse. « La plupart de mes employés sont de jeunes ingénieurs qui ne possèdent pas de voiture. Pour eux, le développement des transports en commun est primordial. Il y a deux ans, nous nous sommes posé la question d’un déménagement de notre siège social. Clairement d’ici quelques années le problème se reposera et l’abandon du projet de métro pourrait remettre en cause notre présence à Tassin ».