Transports
Quatre questions autour de la situation du train Aubrac, lors d'une semaine charnière pour son avenir
Depuis le 4 décembre, aucun train ne circule entre Neussargues et Saint-Chély d’Apcher, au nord de la ligne Aubrac. De quoi intensifier les inquiétudes autour de la ligne, et accroître la mobilisation pour la sauver.
L’Aubrac en danger ? C’est une réalité depuis des années. Mais à force de luttes, d’engagement, de citoyens comme d’élus locaux, cette ligne en sursis fonctionne toujours. Au moins, cela semblait acquis, jusqu’en 2023. C’était en tout cas le deal avec les deux régions, concernées par le Béziers-Clermont, Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes.
Quelle est la situation ?
Mais un mauvais signal a été envoyé en fin d’année dernière. SNCF réseau a décidé de suspendre la ligne, pour des « raisons de sécurité », le 4 décembre, sur sa portion Neussargues-Saint-Chély d’Apcher. Depuis, pas un train, de voyageur ou de fret, n’a circulé. En clair, les usagers ont pris le bus, et les bobines d’acier, matière première de l’usine ArcellorMittal du nord Lozère ont pris l’autoroute. « Tout laisse à penser que la situation va perdurer, explique Antoine Lévêque, usager de la ligne et secrétaire de l’Association des Amis de Garabit (Amiga), qui lutte pour que le train circule sur le viaduc. Déjà, chaque été depuis des années, la ligne est fermée pour travaux pendant trois ou quatre mois, à l’époque où son exploitation pourrait être optimale. Va-t-elle circuler à nouveau avant ces travaux estivaux?? Et ensuite, l’État réalisera-t-il les travaux pour que le train circule à nouveau?? Nous avons eu une visio avec SNCF voyageurs, et personne ne nous a donné de réponses. »
Et pourtant, la ligne de l'Aubrac est actuellement coupée en son centre faute de travaux suffisants, et risque de voir ce tronçon fermé aux trains de voyageurs si rien n'est fait !
+ d'autocars et des centaines de camions en plus sur les routes en perspective ?? https://t.co/SH7tXvQOgf
— Train Aubrac ?? (@Train_Aubrac) December 8, 2020
Martine Guibert, vice-présidente de la région AURA en charge des transports, remonte le fil :
« le 2 décembre, on nous a informé que la ligne fermerait deux jours plus tard. Parce qu’un train enquêteur avait décelé des écartements de la voie, en particulier sur la tranche critique de 30 km entre Saint-Flour et Loubaresse. »Son alter ego de la Région Occitanie, Jean-Luc Gibelin, qualifie cette décision d’« incompréhensible. Nous avions un engagement tripartite avec la région AURA et l’État pour que l’Aubrac circule jusqu’à fin 2023, en contrepartie de travaux d’urgence. Or il semble, mais je n’ai toujours pas confirmation, que SNCF réseau ait fait passer un train enquêteur nouvelle génération. A-t-il décelé des avaries qui ne pouvaient l’être à l’époque où nous nous sommes engagés, ou de nouvelles dégradations?? On ne le sait pas, et cela me laisse dubitatif. D’autant que les conclusions de ce train enquêteur sont qu’aucun voyageur ne pourra circuler sur cette portion après 2021. Ce n’était pas notre accord, on ne peut l’accepter. »
Quels sont les arguments en faveur du maintien de la ligne ?
Au-delà de cette question de fair-play, puisque les deux régions ont fait des efforts financiers, de travaux sur la ligne (3,5 millions d’euros pour l’heure, une autre tranche de 11,47 millions d’euros étant prévue) comme pour combler son déficit en contrepartie d’un maintien de l’exploitation, les défenseurs invoquent une série d’arguments.
Cinq arguments pour défendre le train Aubrac :
https://www.lamontagne.fr/saint-flour-1 ... _13671806/Il y a d’abord l’économie. C’est par cette ligne que sont acheminées les bobines d’acier de l’usine ArcellorMittal de Saint-Chély, premier site industriel de Lozère avec ses 250 emplois, tout aussi précieux pour le bassin sanflorain. À cela s’ajoutent l’écologie et la sécurité : « l’absence de fret fragilise l’usine, mais le bilan carbone est aussi très néfaste, estime Antoine Lévêque. Ce sont des dizaines de camions qui circulent ainsi chaque jour pour l’approvisionner. Et qui roulent sur l’A75, en condition hivernale…»

« ArcelorMittal veut faire de ce site une usine décarbonée, et le développer, ajoute Martine Guibert. Cela passe évidemment par la présence du train. Qui demeure, pour le fret comme pour les voyageurs, le moyen de transport le plus écologique. Aujourd’hui, la France est en retard en matière de ferroutage. Il faut le développer, et des lignes comme l’Aubrac ont une carte à jouer. »
Mais le fret n’est qu’un volet.
L’Aubrac est essentiel car il est un train d’équilibre du territoire. Sa raison d’être est d’aller jusqu’à Clermont pour, après correspondance, relier Béziers à Paris. On aurait beau jeu, vu d’Occitanie, de n’avoir qu’un train qui va de Béziers à Saint-Chély.
Jean-Luc Gibelin (Vice-président de la région Occitanie)
L’élu lui trouve même une nouvelle perspective d’avenir avec la promotion voulue par le gouvernement des trains de nuit. « L’Aubrac y est tout à fait éligible, et ce serait cohérent. » Et son alter ego à la région AURA d’ajouter : « il y a des pistes de développement pour les voyageurs. Je pense aux étudiants qui prennent ce train, aux gens qui travaillent à Arcellor, à tous ceux, ils sont de plus en plus nombreux, qui prennent le train par choix écologique. Mais encore faut-il leur proposer un service qui répond à leurs attentes. »
Enfin, Patricia Rochès, présidente d’Amiga, pense aussi au tourisme : « une des conditions pour que le viaduc de Garabit puisse être classé au patrimoine mondial de l’UNESCO est qu’il remplisse toujours sa mission première : faire circuler des trains de voyageurs. On ne doit pas laisser passer cette chance de développement. »
Très belles vues du viaduc de #Garabit, chef d'œuvre de la ligne de l'#Aubrac.#UrgenceAubrac Les trains de voyageurs doivent continuer à circuler dessus ! https://t.co/B5US70ZLwP
— Train Aubrac ?? (@Train_Aubrac) January 13, 2021
Où en est la mobilisation ?
Elle est forte, et sur de nombreux fronts. Dès l’arrêt de la circulation, le président du comité pluraliste de défense de la ligne, Jacky Tello, et l’ancien ministre des transports, Jean-Claude Gayssot, écrivaient à l’actuel, Jean-Baptiste Djebarri. Appuyé par de nombreux élus des territoires concernés, le comité demandait ensuite un renouvellement de l’exploitation de la ligne.
De son côté, l’association Amiga a mis en ligne une pétition, qui compte à ce jour 1.000 signatures. Rédigé une motion qui a été votée par une soixantaine de collectivités locale, demandant d’inscrire l’Aubrac dans le Plan de relance.
Le débat sur la question en conseil municipal de Saint-Flour /
https://www.lamontagne.fr/saint-flour-1 ... _13893603/« Si cette ligne connaît ces difficultés c’est, je pense, parce que les élus locaux ne se sont pas assez saisis du dossier, estime Patricia Rochès, par ailleurs maire de Coren. Aujourd’hui, il y a une mobilisation, mais ce sera aussi un enjeu électoral demain. »
Un gros travail de communication a aussi été fait par l’association, avec création d’un filtre facebook, d’un challenge photo, d’un espace de témoignages en ligne.
Enfin, samedi, elle a adressé une lettre au ministre des Transports, titrée « Les usagers de la ligne de l’Aubrac, oubliés de la République ».
Politiquement, où en est-on ?
Sur un plan plus politique, la région Occitanie a envoyé un signal fort en repoussant la signature de son contrat la liant à l’État en matière de transport.
« Nous conditionnons ce contrat au fait que l’État s’investisse, plus qu’il ne le ferait pour des lignes de desserte fine, sur l’Aubrac et le Cévenol, explique Jean-Luc Gibelin. Qu’on ne croit pas que c’est pour évacuer ses sujets, au contraire, c’est pour les prioriser. Et si l’État ne s’engage pas, il verra ce que c’est, une région en colère. »
Un moment charnière pourrait se dérouler demain. Les deux régions, qui avancent de concert sur le dossier, rencontrent le préfet Philizot, en charge du sujet. « Nous attendons d’abord des éclaircissements sur ce qu’a pu constater le train enquêteur, précise Martine Guibert.
Ensuite, il faudra que l’État s’engage fortement, sur cette ligne comme sur le Cévenol. On le sait, la troisième phase de travaux programmée est de 54 millions d’euros. Il faut que l’État soit à la hauteur, car il faut en finir avec les travaux d’urgence, qui ne sont parfois que des rustines, pour au contraire développer réellement cette ligne. Car elle peut avoir un futur. »
Yann Bayssat